Carnet d'un officier allemand
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Transcription carnet allemand

Journal de campagne d'un officier du 178e RI saxon 8e Cie (13e Saxon) Nous avons extrait de ce carnet la période du 15 septembre 1914 à sa capture le 25 septembre 1914.

15 septembre
De Boult par Auménancourt et Pontgivart, nous arrivons à La Ville-au-Bois. Après une marche qui m'a mis à la limite de mes forces, avec la plante des pieds en feu, nous marchons au combat. C'est cela qu'on appelle la réserve ! Nous avons atteint l'aile droite de l'armée et ne sommes engagés qu'en flanc. On nous signale une division de cavalerie anglo-française, mis rien ne se montre . Nous attaquons donc le village de La Ville-au-Bois. Après un combat meurtrier, le village est à nous vers le soir et est occupé par nos chasseurs et nos tirailleurs. Ce village est très important pour l'ennemi car il forme un point d'appui pour son flanc gauche.
Bivouac sous la pluie.

16 septembre
Dies ater. A 5 heures du matin, l'ennemi reprend avec de grosses forces le village et le cerne. Il attaqua aussi de vive force, mais est travaillé par nos mitrailleuses de telle façon que les hommes gisent fauchés par rangées et que le reste, de la force d'environ une compagnie, se rend. Combat meurtrier dans le village. Nous pénétrons jusqu'au milieu. Notre lieutenant Müller avait été hier, à l'assaut du village, grièvement blessé par un coup de feu dans la poitrine ; le lieutenant Hircher, notre dernier officier, tombe aujourd'hui, atteint à la tête d'un coup de feu tiré d'une maison à côté.
Dès l'entrée du village, gît un groupe d'Allemands effroyablement déchiquetés, sans doute par l'effet de notre propre artillerie dont le tir est toujours dangereusement court. Mais l'ennemi aussi les a malmenés. Sur la place du village, gisait un officier supérieur de la marine avec le crâne à moitié broyé ; il n'y avait plus beaucoup de cervelle dedans .Les rues du village sont parsemées de cadavres français. A l'entrée, gisent aussi beaucoup d'Allemands, mais bien plus encore dans les maudits taillis qui entourent presque complètement le village et lui donnent avec raison son nom. Ce ne sont que des touffes de perches resserrées, parfois mêlées de longues épines. Ce maudit trou a coûté à la compagnie deux officiers et une quantité d'hommes.
Les Français sont passés maître dans le combat de rues, comme du reste dans tous les genres de combat où il est possible de tirer à couvert. Ils font dans les toits de petites meurtrières par où ne passe que le canon du fusil. J'en ai fait ensuite autant moi-même et, avec un sous-officier, nous avons abattu quelques Français qui tiraient d'une fenêtre. Au milieu de tout cela, il y a de singuliers tableaux. Dans le feu le plus insensé, les coqs chantent et les lapins trottinent paisiblement dans les cours. Une vache qui s'était risquée sur la route se roulait en meuglant atteinte de plusieurs balles. Le soir, tout le monde se replie sur la grand'route, où les prisonniers ont fait des retranchements. Je dors sur un peu de paille en plein air.

Extrait carnet

17 septembre
Le combat se poursuit. A gauche du village, les chasseurs de la Garde progressent à travers les taillis. Enfin notre artillerie se met à bombarder le village lui-même. Vers 9 heures, je reçois du colonel l'ordre d'enlever avec ma section une ferme à l'entrée du village ; je dois le porter en avant énergiquement. Je me port en avant . A 600 mètres du village, je suis pris sous un feu violent. Mes hommes tombent et sont blessés. Autour de moi les balles sifflent. Me voilà donc couché sous le guéret absolument sans secours. De l'ennemi l'on ne peut rien découvrir. Je suis tout à fait dans l'état d'esprit de l'agneau du sacrifice. Devant moi les premières maisons du village, puis à côté, une lisière de bois ; plus loin à gauche, des meules de paille. De partout éclatent les coups de feu. Les balles sifflent aussi latéralement par dessus de ma tête. Il commence à pleuvoir. Mes lunettes sont mouillées, ma jumelle salie. Notre artillerie envoie tout près devant nous des shrapnells sur l'entrée du village. Alors l'ennemi se met à semer des obus. Tout le monde se replie. Dans ma section, il me reste quatre hommes, avec lesquels, en longeant une tranchée française, sous un feu continu de l'ennemi, j'arrive par bonds jusqu'à l'entrée du village. Là je me joins aux chasseurs de la Garde qui nettoient le village. Enfin nous en reprenons possession ! Je regarde ma montre : il est 7 heures du soir.
Comment c'est passée cette journée ? Je n'en sais rien. Je n'ai rien mangé et pas d'appétit. Les chasseurs ont pris des ruches d'abeilles. Il s'y trouve du miel merveilleux que l'on dévore avec délices, tandis que l'ennemi, sous une pluie torrentielle, inonde le village d'obus. L'un d'eux tombe dans la cour, alors que je me trouve justement à une fenêtre avec quelques officiers. Toutes les vitres volent en éclats, l'encadrement est arraché, je reçois une terrible gifle et suis pour un moment complètement sourd. Mais il n'est rien arrivé. Dans la pièce à côté, deux chasseurs ont été blessés.
Le soir, le temps s'éclaircit. Je retrouve ma compagnie, qui est encore abritée derrière la route et là aussi il a plu des obus. Le médecin-major Dr Tempelhof, notre second rayon de soleil, - le premier c'est la cuisine de campagne – me fait un pansement (ma main a tout de même eu un petit trou) et m'emmène pour deux jours vers l'arrière à Juvincourt où se trouve la compagnie du service de santé. Je devais dormir dans la salle des blessés ; mais cela sentait tellement mauvais là-dedans, que je suis allé me coucher dans l'église, où il y a sans doute des blessés mais plus d'air.
Quand, le 18 septembre de bon matin, je m'éveille, je me trouve dans une atmosphère empestée, parmi une masse de blessés français, arrivés pendant la nuit. Le matin, le village est arrosé d'obus, de sorte que mon médecin-major se replie vers les cuisines. Je reste avec les officiers de la compagnie de santé et suis bien traité. Il y a du rôti, du hachis, un vin blanc de pays d'une agréable saveur aigrelette, et puis du potage Julienne. Comme il y a longtemps que je n'avais mangé de légumes ! Entre temps, arrivent de la Ville-au-Bois des chasseurs de la Garde blessés. La aussi l'on bombarde à obus. L'un d'eux à tué huit hommes et en a blessé plusieurs. A Juvincourt, les obus éclatent sans interruption. Le soir, l'ennemi tente une percée, mais elle est repoussée. Il y aurait des tas de cadavres français derrière le village.

19 septembre
Je continue à me nourrir près de la compagnie de santé. Devant nous, violent feu d'artillerie. Nos batteries dont postées sur la grand'route Reims-Laon. La nuit dernière, il serait d'ailleurs arrivés des mortiers. Enfin un obus ennemi est tombé dans la ferme de la Musette, située au bord de la route et où se trouve notre ambulance, et il a mis en bouillie un sous-officier du service de santé. A part cela, la journée se passe tranquillement, le village reçois sa ration quotidienne d'obus. La nuit, ils tombent terriblement près, mais on dort tout de même.

Carnet Saxon Cuisine

20 septembre
Dimanche – Comme toujours, combat dominical. Derrière nous vive mousqueterie. Ordre aurait été donné d'attaquer. Le village recommence à être couvert d'obus. Je vais retourner aujourd'hui au front dès que le duel d'artillerie le permettra. D'ici là, je goûte encore une vie divine derrière le front. Un homme de la compagnie du service de santé, qui me connaît de longue date, me procure du bouillon exquis, de la viande de porc, du pain, des noix fraîches. J'ai en outre du vin rouge. Dépêchons-nous d'expédier cela avant qu'un obus ne le prenne ! A midi je rencontre à nouveau mon médecin-major et vais avec lui jusqu'à Amifontaine, à 4 kilomètres en arrière où se trouve l'hôpital. J'ai un peu d'entérite, mais malgré cela j'absorbe le soir un bifteck allemand. Bon lit de paille. Rien de nouveau sur le front.

21 septembre
Dolce farniente à Amifontaine. A l'avant il y aurait eu encore de lourdes pertes dans une attaque sur l'ennemi, bien retranché dans le bois. L'artillerie non plus ne ferait pas grand chose, parce que les Français couvrent leurs tranchées avec de gros rondins.

22 septembre
Toute la journée passent des troupes du XIXe corps, qui doit aller prendre la droite du Xve. L'infanterie est exactement aussi décimée que la nôtre. Ce que l'on espère obtenir avec de pareils « renforts », le diable le dira ! On croirait presque que sur ces positions nous devons perdre jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Le 105e régiment d'infanterie aurait eu un combat avec les Anglais.La Saxe lève un nouveau corps d'armée sous le ministre de la Guerre von Carlowitz à destination de la Russie. Et nous qui avons tellement besoin de nous compléter ! Notre 3e bataillon se compose de 6 sections. Juvincourt aurait été encore violemment bombardé. Six hommes du 178e auraient été déchirés d'un seul coup par un obus. Un autre est tomé dans la maison de la Musette et a tué dix hommes. A leur enterrement un second obus est venu tuer deux brancardiers. Un hussard fait prisonnier et qui s 'est échappé raconte que des pièces de marine anglaise seraient cachées sous des tentes portant la croix de Genève.

23 septembre
Un autre dies sine linea. Derrière le front, on vit très confortablement.
24 septembre
Nous prenons le repas du condamné et prenons congé de nos aimables hôtes du service de santé. Soirée à la cuisine de campagne dans les tranchées près de La Ville-au-Bois. Superbe nuit étoilée très froide. Malgré ma couverture en poil de chameau, j'ai mortellement grelotté des jambes. A l'aube, j'installe mon trou, qui ressemble diablement à une courte tombe, et l'améliore par l'adjonction d'un abri pour ma tête. Comme cela je peux au moins m'allonger.

25 septembre
Journée merveilleusement claire. L'artillerie se canonne réciproquement, parfois très vivement. De temps à autre, une rafale de trois à quatre groupes. Diarrhée colossale que je guéris par la diète du biscuit.

C'est ainsi que se termine le carnet le l'officier saxon, tombé ce jour là au cours d'une attaque française

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