Les Amis du Bois des buttes
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La prise du Haricot le 16 avril 1917

Voici un récit militaire qui tranche par son originalité sur ceux que nous avons coutume de lire. En effet, l'auteur ne s'est pas borné à relater un fait de guerre exact, il fait vivre les personnages, il les dépeint, leur donne, la parole, comme dans un roman. Et nous sommes ainsi transportés en pleine action, dans une action brillante, rapide, enflammée, où triomphent enthousiasme et l'élan du soldat français.

Nous vous présentons que des extraits

Situation le 15 avril 1917

Situation en avril 1917 
Cela se passait à table, chez le lieutenant-colonel C.,[CUNY] quelques jours après la dernière offensive d'avril. Le colonel commandait alors le [31e].e d'infanterie, un régiment de Paris, qui venait de gagner brillamment sa fourragère, et n'était pas peu fier de l'honneur de mener les gars de Belleville : très Parisien lui-même, adorant la gloriole, le panache, la bonne chaire,le boulevard. Un cran du diable, d'ailleurs,despote, blagueur, jurant comme un païen,et cela faisait un curieux mélange avec le. besoin qu'il avait de faire l'homme du monde. Il avait l'hospitalité large et le champagne facile, comme la passion de tout ce qui brille, les artistes, les gens de lettres,en quoi la fortune l'avait bien servi en lui donnant son régiment : nous étions une dizaine à table, et parmi les convives, outre le lieutenant Dubois et quelques officiers,il y avait un peintre célèbre par les caprices de sa fantaisie tour à tour tendre, bouffonne ou cruelle à présent chef des pionniers du régiment, [Jean VEBER] et le compositeur Reynaldo Hahn, l'auteur de la Fête chez Thérèse et de tant de mélodies dont raffolent les femmes. On fêtait la victoire, et c'était, comme on voit, un déjeuner bien parisien.

Ce qui ne l'était pas, par exemple, c'est l'endroit où la scène se passe. Figurez-vous une sorte de cave, une petite cabine cubique, absolument sans jour, comme un cubes dés de plongeurs dont on se sert pour établir les fondations des piles d'un pont.

[..] on lit sur la porte de notre cabine ces mots : Tunnels Kdr., ce qui veut dire que c'est le poste du major qui, il y a quinze jours, commandait le secteur. Nous sommes en effet dans le tunnel du Bois des Buttes, qui vient d'être pris le 16 avril par ce régiment de Paris, et le colonel nous reçoit dans le P. C. de son collègue boche.
[...]

Bunker


Le Bois des Buttes est un îlot de cet ancien archipel, le premier à compter de la falaise de Craonne, dont il forme pour ainsi dire le bastion avancé : il commande la trouée de l'Aisne entre la rivière et le plateau. Le village de la Ville-aux-Bois fait réduit, en arrière, et l'ensemble, village et bastion, barre complètement la route de Corbeny.
[...]

Ce Bois des Buttes, qui vu de loin flotte un peu dans le paysage, prend, à mesure qu'on s'en approche, une importance de plus en plus grande. Pour le promeneur qui arrive» par la route de Pontavert, ce maudit monticule semble grossir à vue d’œil : cette taupinière devient montagne, elle obstrue l'horizon; on ne voit plus qu'elle dans le tableau.

L'image d'un porc-épic me conviendrait pas mal à ce tertre hargneux, couvert d'un maquis de pieux, d'échardes, d'un poil rétif de durs piquets, qui étaient les ruines de l'ancien bois qui l'ombrageait naguère. Le tout vous avait l'air d'un terrible fagot d'épines.

Ce n'est pas tout : vous vous apercevez bientôt que cette colline est double, formée de deux hauteurs jumelles, de deux mamelons presque égaux séparés par une gorge, comme deux tours trapues reliées par une courtine. Cette circonstance compliquait infiniment les choses : tant qu'une de ces tours tenait bon, on ne pouvait pas être sûr d'être maître de l'autre. Pour réussir, il fallait s'emparer à la fois de toutes deux, et prendre,comme on dit, le taureau par les cornes. La.plus élevée, celle du midi, dessine sur la carte une forme allongée, comme celle d'un rein ou d'un rognon ; c'était la clef de la position. On l'appelait le Haricot.

Il va sans dire que les Boches avaient encore perfectionné la nature : double et triple étage de tranchées, boyaux, abris" blockhaus, la colline farcie de mitrailleuses et de ces petites boîtes de béton, qui se font au moule, par douzaines, et que les Anglais appellent des boîtes à pilules. Enfin, à l'intérieur, ce grand tunnel intestin qui pouvait contenir jusqu'à un bataillon. Et, derrière encore, ce réduit sournois de la Ville-aux-Bois, d'où pouvaient accourir en cas de malheur des réserves. C'était vraiment quelque chose de bien conditionné.

J'avais parcouru le terrain en détail, et je ne m'expliquais pas encore comment on était venu à bout de s'en emparer. Car tout était encore intact, presque dans son neuf, à peine bossué un peu par le bombardement, comme si ces Parisiens, toujours artistes, comme vous savez, s'étaient donné le luxe, de vous prendre ça sans l'abîmer, ainsi que les chasseurs de fourrures abattent l'animal sans lui gâter la peau.

Comment avions-nous fait pour emporter tout ce terrible système de défenses et de points d'appuis, ces enceintes successives de tranchées, ces mitrailleuses, le tout se soutenant, s'étayant dans un amalgame, une complication terrible, un enchevêtrement affreux de nature et d'art?

[...]

Et alors, je compris.« Halte-là ! Un moment ! interrompit le colonel C. Je demande la parole. Ces jeunes gens répondront aux questions tout à l'heure.

Si je les laisse dire, ajouta-t-il à mon intention, je les connais : ils vont se perdre dans les détails, et Monsieur que voilà n'y entendra goutte. Et puis, ils ne sauront pas se faire mousser comme il faut. Je m'en charge, moi qui vous parle. Suis-je leur colonel, oui ou non? C'est donc à moi de commencer par vous expliquer la manœuvre. »

Et, se tournant vers l'ordonnance : « Holà ! s'écria-t-il, qu'on m'apporte le plan.

Mais non, pas celui-là ! Le plan en relief. Enfin, à la bonne heure. »

Croquis

Tous les accidents du terrain s'y trouvaient reproduits dans la dernière exactitude,lignes de tranchées peintes en bleu comme les veines sur une pièce anatomique, d'après les renseignements et les photographies d'avions : bref, un fac-similé complet de l'objectif.

« Vous concevez, reprit le colonel, que je ne pouvais pas songer à prendre ce morceau là de front. Il fallait manœuvrer. Vous voyez que j'avais par ici il mettait son doigt sur le plan une série de petits renflements du terrain, une bordure de contreforts : nous les appelions le Nez, le Doigt, le Pied du Boche. C'étaient des nids à mitrailleuses, rien à faire par là. De ce côté, je ne laisse qu'un rideau pour faire illusion et je cherche un point faible ailleurs. « J'avais deux objectifs : c'était le sommet de la butte, la cote 96, le Haricot, comme on l'appelle ; et c'était, derrière la butte, le village de la Ville-au-Bois. La question ainsi posée, je décide de chercher à atteindre ces deux buts en même temps, en consacrant à chacun d'eux la moitié de mon monde : un bataillon sur le Haricot, un bataillon sur le
village, le troisième (moins la demi-compagnie en rideau de tirailleurs) me restant sous la main, en réserve, prêt à tout événement.

« Cela posé, je fais mon plan : je place mes deux bataillons d'attaque sur les flans,
et je conçois l'affaire comme un mouvement d'ailes : l'aile droite ,au midi, se jettera au plus court sur le Haricot et fera. en sorte, comme on dit, de lui jaillir sur la crête : elle coiffera l'ennemi et tâchera de lui maintenir un capuchon sur la tête, pendant que l’aile gauche, au nord, filera tout droit par derrière, gagnera le village et coupera la retraite.
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Vous voyez ça d'ici : en tenant le Haricot, je tiens l'ennemi par les oreilles, et en même temps, par le village, je vais le pincer dans le dos. Ces deux mouvements, c'étaient comme les cordons d'un sac : alors, je n'avais plus qu'à serrer, couic ! et débrouillez-vous, les Boches : vous êtes fricassés, mes amis.

« Seulement, il fallait réussir. C'était une question de vitesse. Tout dépendait du temps que je mettrais à escalader ce damné Haricot.

Il était clair qu'il ne fallait pas s'amuser en chemin. Le rêve, c'était d'arriver avant que les Boches aient eu le temps de s'en douter.
Pour prendre de l'avance, je décide de partir avant l'heure. Vous savez ce qu'on appelle l'heure H : c'est celle où on déclenche l'attaque. C'était officiellement 6 heures du matin.

Je m'entends avec mon artilleur pour lui faire allonger le tir et, à 6 heures moins dix, me voilà en route. A 6 heures, mon premier bataillon était déjà sur les deuxièmes lignes allemandes. Cet écart de dix minutes, dans ces cas-là, c'est tout le succès.

« Mais la vitesse ne suffisait pas, il me fallait encore la surprise. Je voulais opérer masqué, incognito. Je voulais voir sans être vu. Vous devinez bien qu'à peine découvert, j'étais rousti, flambé, jeté en bas, désarçonné.
Jamais les Boches ne me laisseraient monter :il faudrait se battre, et c'est ce que je ne voulais pas. Je n'allais pas, y pensez-vous? Me mettre à entreprendre un siège et me colleter au pied du mur avec des gens bien à leur aise, à califourchon sur le faîte. Une fois là-haut, de plain-pied,. c'était différent : on verrait.

Mais tant que je n'avais pas fini mon mouvement, je désirais passer inaperçu. Ruse de guerre, mon ami ! A Douaumont, il paraît que Mangin avait commandé le brouillard.

Moi, je ne suis que colonel : je n'avais pas,comme lui, le brouillard à mes ordres. Mais j'avais mes crapouillots de 58 et de 240, même une batterie de 340, qui vous lance des 300 kilogrammes de dynamite : c'était de quoi faire de la fumée, et c'était même plus commode, parce que je pouvais la régler à ma guise.

«A 5 heures 30, je commence donc la représentation : je jette feu et flamme, je couvre la butte d'explosifs ; on aurait dit un petit volcan. Comme spectacle, je vous assure que ça valait deux sous. Je regardais de la Sapinière ; les poilus jubilaient.

- Qu'est-ce qu'ils prennent?
Pas assez ! Encore ! Hardi là ! Mettez-y-en !

« Ma foi ! J'étais content de mon embrasement. Cela ressemblait au dernier tableau du Crépuscule des dieux, un vrai petit incendie du Walhall : c'était de circonstance, quoique j'aime mieux Carmen ou la Fille de Mme Angot. » - Et il fredonnait l'air célèbre :Forte en gueule, Pas bégueule.

« Voilà de la jolie musique, de la musique claire ! C'est fin, c'est français, c'est de bon goût. Mais enfin, ce n'est pas de cela qu'il s'agit.
« Je regardais ma montre et tour à tour mon nuage en train de s'épaissir là-haut. Je vous réponds que ça dégringolait ! C'est bon, me disais-je : tant que ça pleut, les Boches ne bougent pas de leurs sapes ; ils se disent qui nous n'allons pas attaquer là-dessous, et ils attendent la fin de l'averse pour mettre le nez dehors et pour nous voir venir. Comptez là-dessus, mes petits ! Quant aux observatoires, s'il y a quelqu'un dedans à cette heure, c'est son affaire et je lui souhaite bien du plaisir : mais qu'est-ce qu'il y peut voir? Du feu. Il ne se doute de rien. Regarde, mon vieux,regarde, écarquille les yeux ! — et, consultant encore ma montre mes bonshommes sont en train de te grimper dessus ; ils se coulent
derrière cette poussière, ni vu, ni connu, je t'embrouille !

Cela se passait, en effet, tel que je vous le dis.
[...]

Prisonniers allemands

 

 


Le récit complet est à lire ici 

 

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