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L HISTOIRE DE MARCO
Lieutenant MARCQ (Léandre)
Commandant la 2 e Compagnie du 4 e R. T.
Chevalier de la Légion d’honneur
Croix de guerre : 3 citations
 16 AVRIL 1917
L’aube blafarde déchire l’ombre. Il est six
heures. Le I er bataillon du 4° régiment d’infante
rie bondit de ses parallèles de départ. C’est l’as
saut... Les obus s’acharnent sur les grappes
d’hommes bleus. De la Route 44, du Bois des
Boches, de Juvincourt, les mitrailleuses invisibles
fauchent les rangs. La terre, le sang, la chair se
mêlent effroyablement.
Plus brave qu’un Chevalier d’autrefois, le lieu
tenant Marcq, commandant la 2 e compagnie, qui a fait passer son héroïsme dans le cœur de ses
hommes, les entraîne irrésistiblement, revolver
au poing, insouciant des balles qu’il méprise.
Soudain, tel un beau chêne déraciné par l’oura
gan sauvage, il tombe frappé à mort. Sa poitrine
se soulève horriblement trouée, sa gorge est ou
verte.
« Faites venir le sou,s-lieutenant Bucard. » —
Je m’agenouille près de lui : « Mon pauvre petit
Marcq! » — « Je vais mourir, mon petit Mar
cel... » Et il incline sa tête douloureuse sur mon
bras comme pour mieux se reposer. De sa gorge,
de sa bouche, de ses poumons, le sang coule
rouge éperdument. — « Mais non! mon petit
Marcq, tu ne peux pas mourir... » — Ses yeux si
limpides se teintent de sombre, la nuit lentement
y descend, ils veulent encore sourire.
Les balles sifflent rageuses autour de nous,
Irouant dix fois nos capotes. Le caporal Ayrole,
1 agent de liaison Jamais sont fous d’héroïsme,
lué Giboin, tué Carnet, tué Bonéty, tué Ilarivel,
lués, tués, tuésl et Denon et Fontaine et Lhomme
e t Villeneuve et Fraquet... Appuyé à un tronc
d arbre, les entrailles hors du ventre, Marchand,
le petit gars relevé d’usine, qui a juré « de suivre
partout son lieutenant Marcq » — fait feu, feu,
fe u jusqu’à son dernier souffle. Tué Guéripel, tué Descaillot, tué Malréchauffé, tués, tués, tuésl et
Eymard, et Grac, et Laubie, et Garciès...
Les grands arbres du Bois des Boches s’abattent
en gémissant, même les pierres de la route ont
l’air de crier leur souffrance. On se bat dans cet
enfer avec un enthousiasme fou, une peur atroce,
un courage surhumain. Partout, on crie, on
hurle, on chante, on prie, on gueule, on maudit.
Le cimetière se déchire épouvanté et vomit ses
cadavres que les obus assassinent une deuxième
fois...
<( A boire! Marcel. » — « Tu veux un peu de
gnôle, mon petit Marcq? » — « Oh! oui, j'ai
soif... » Goutte à goutte, je laisse tomber sur sa
langue l’eau-de-vie qui ressort par le trou de sa
gorge... Torturé, dans le vertige de sa souffrance,
il saisit son chapelet. « Je vous salue, Marie,
pleine de grâce... » Il respire avec douleur, l’air
qu’il veut retenir s’échappe par ses blessures en
saccades rauques comme d’un soufflet crevé, il
crache de ses poumons : « Mon pauvre petit
Marcq! »
Dans un râle, ses lèvres sanglantes collées à
mon oreille il me confie : « Prends le comman
dement de la compagnie et venge-moi! » Et ses
mains qui déjà se raidissent me tendent son re
volver encore chaud et rouge de son sang. JI m’embrasse et ce baiser me fait frisonner :
on dirait que c’est de son âme qu’il me donne...
Puis, dans un suprême effort, retenant les cris qui
lui montent des entrailles, il se dresse, moribond
superbe, se fait asseoir « face aux Boches! », re
fuse qu’on l’emmène, trace sur ses plaies béantes
un large signe de croix et doucement, pendant
que l’abbé Seng, aumônier du bataillon, enfonce
dans le trou de sa gorge une parcelle d’hostie,
parce que sa pauvre langue ne peut plus avaler,
consent enfin à la mort...
J’arrache son revolver, je vole les cartouches de
son étui; une dernière fois je contemple son corps
crucifié, l’enfermant à jamais dans mon esprit et,
sans une larme dans les yeux, avec quelque chose
comme un sourire sur les lèvres, je bondis sur la
Route : « Faites passer que le lieutenant Marcq
es t tué et que le sous-lieutenant Bucard a pris le
c °namandement de la Compagnie... »
Ses yeux fixes où brille comme une dernière
lueur, Marcq adossé à un tronçon de chêne sem
ble contempler avidement l’horizon qui flam-
bloie et ses Poilus terribles qui, baïonnette au
canon, se ruent sur le Boche.
Les pertes sont cruelles... Qu’importel La 2*
veut venger son chef. Déjà presque tous les abris
bétonnés de la Boute 44 sont enlevés, déjà 3oo
prisonniers, 10 officiers dont 1 chef de bataillon
sont capturés, déjà 6 mitrailleuses, 1 canon-revol
ver, un matériel considérable sont en son pou
voir; déjà l’encerclement du Bois des Boches se
dessine qui décidera du succès de la bataille. 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k944388m/f28.item.r=%22bois%20des%20boches%22

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